03/11/2013

Nouvelles du Chiapas


Retour du Mexique, les escuelitas zapatistes
Emission "La jungle des luttes",  réalisée par le CSPCL (Comité de solidarité avec
les peuples du Chiapas en lutte) sur Fréquence Paris Plurielle, en septembre 2013.
Pour écouter, cliquer sur la flèche du player.

> Pour en savoir plus sur "la petite école" des zapatistes.
(extraits du site "Libéronsles")

Après une série de communiqués sur «la petite école», nouvelle étape dans le cheminement zapatiste, et après que les zapatistes eurent choisi les groupes, collectifs, organisations, syndicats, individus très divers qui participeraient à cette étape d’échange et d’apprentissage, environ 1600 élèves, hommes, femmes, enfants, vieillards et vieillardes, de partout dans le monde, se rendirent du 12 au 17 août 2013 au Centre de formation intégrale -Unitierra à San Cristóbal de Las Casas au Chiapas, ainsi qu’aux cinq Caracoles zapatistes, pour suivre le cours du premier niveau intitulé « La liberté selon les zapatistes ».(...)

Les Petites écoles d’en-bas (par Raúl Zibechi, journaliste uruguayen)
Il y aura un avant et un après la petite école zapatiste. De celle qui vient d’avoir lieu et de celles que viendront. L’impact sera lent, diffus, il se fera sentir dans quelques années mais il marquera pour des décennies la vie de ceux et celles d’en-bas. Ce que nous avons vécu a été une éducation non institutionnelle, où la communauté est le sujet éducatif. Une auto-éducation, face à face, en apprenant avec l’âme et avec le corps, comme dirait le poète.

Il s’agit d’une non-pédagogie inspirée de la culture paysanne : sélectionner les meilleures graines, les répandre sur les sols fertiles et arroser la terre pour que le miracle de la germination se produise, chose qui n’est jamais sûre et ne peut être planifiée.

La petite école zapatiste, que nous avons vécue avec plus de mille élèves dans des communautés autonomes, a été une façon différente d’apprentissage et d’enseignement, sans salles et sans ardoises, sans maîtres et sans professeurs, sans notes. Le vrai enseignement commence par la création d’un environnement fraternel entre une pluralité de sujets et non par la division entre un éducateur, doté de pouvoir et de savoir, et les élèves ignorants à qui doivent être inculquées des connaissances.

Parmi les apprentissages, impossible à résumer en si peu de lignes, je voudrais souligner cinq aspects, peut-être influencé par la conjoncture que nous traversons dans la sud du continent. La première est le fait que les zapatistes ont mis en échec les politiques sociales contre-insurrectionnelles dont se servent ceux d’en haut pour diviser, coopter et soumettre les peuples qui se rebellent. À côté de chaque communauté zapatiste il y a des communautés sympathisantes du mauvais gouvernement avec leurs maisonnettes de blocs et qui reçoivent des bons d’achat gouvernementaux et ne travaillent presque pas la terre. Des milliers de familles ont succombé, comme cela arrive un peu partout, et elles ont accepté des cadeaux venant de ceux d’en-haut. Mais ce qui est remarquable, exceptionnel, c’est que des milliers d’autres familles continuent en avant sans rien accepter.

Je ne connais pas un autre processus, dans toute l’Amérique latine, qui a réussi à neutraliser les politiques sociales. Ceci est un mérite essentiel du zapatisme, obtenu grâce à une fermeté militante, une clarté politique et une capacité inépuisable de sacrifice. C’est cela le premier enseignement : il est possible de battre les politiques sociales. L’autonomie est le deuxième enseignement. Il y a des années que nous écoutons des discours sur l’autonomie dans les mouvements les plus divers, ce qui est précieux, certes. Dans les municipalités autonomes et dans les communautés qui intègrent le caracol de Morelia, je peux assurer qu’ils ont construit une autonomie économique, de santé, d’éducation et de pouvoir. C’est-à-dire une autonomie intégrale qui comprend tous les aspects de la vie. Je ne doute pas que la même chose existe dans les quatre autres caracoles.

Deux mots sur l’économie, ou la vie matérielle. Les familles des communautés ne touchent pas à l’économie capitaliste. Elles côtoient à peine le marché. Elles produisent tous leurs aliments, en incluant une bonne dose de protéines. Elles achètent ce qu’elles ne produisent pas (sel, huile, savon, sucre) aux magasins zapatistes. Les excédents familiaux et communautaires, elles les économisent dans le bétail, surtout par la vente du café. Quand il y a besoin, soit pour des raisons de santé ou pour la lutte, elles vendent quelques têtes de bétail.

L’autonomie dans l’éducation et dans la santé s’inscrit dans le contrôle communautaire. La communauté choisit qui enseignera à leurs enfants et qui les soignera. Dans chaque communauté il y a une école, dans le poste de santé, vivent ensemble : des sages-femmes, des rebouteuses et celles qui se spécialisent dans les plantes médicinales. La communauté les soutient de la même façon qu’elle soutient ses autorités.

Le troisième enseignement se rattache au travail collectif. Comme un Votán a dit : les travaux collectifs sont le moteur du processus. Les communautés ont leurs propres terres grâce à l’expropriation des expropriateurs, premier pas inéluctable pour créer un monde nouveau. Des hommes et des femmes ont leurs propres travaux et leurs propres espaces collectifs. Les travaux collectifs sont l’une des fondations de l’autonomie, dont les fruits sont habituellement reversés aux hôpitaux, aux cliniques, pour l’enseignement primaire et secondaire, pour le renforcement des municipalités et des assemblées de bon gouvernement. Rien de ce qui a été construit ne serait possible sans le travail collectif d’hommes, de femmes, d’enfants, de petites filles et de vieillards.

Le quatrième point est la nouvelle culture politique, qui s’enracine dans les relations familiales et qui se répand dans toute la société zapatiste. Les hommes collaborent aux travaux ménagers qui continuent de retomber sur les femmes, soignent leurs enfants quand elles partent de la communauté pour leurs travaux d’autorités. Les relations entre parents et enfants sont faites d’affection et de respect, dans un climat général d’harmonie et de bonne humeur. Je n’ai pas observé un seul geste de violence ou d’agressivité dans le foyer. L’immense majorité des zapatistes sont jeunes ou très jeunes, et il y a autant de femmes que d’hommes. La révolution ne peut être faite que par les très jeunes, et cela n’est pas discuté. Ceux qui commandent, obéissent, et ce n’est pas un discours. Ils lui donnent corps, ce qui est une des cléfs de la nouvelle culture politique.

Le miroir est le cinquième point. Les communautés sont un double miroir, dans lequel nous pouvons nous regarder et où nous pouvons les voir. Pas l’un ou l’autre, mais les deux simultanément. Nous nous voyons en les voyant. Dans cet aller-retour, nous apprenons en travaillant ensemble, en dormant et en mangeant sous le même toit, dans les mêmes conditions, en utilisant les mêmes latrines, en marchant sur la même boue et en nous mouillant de la même pluie. C’est la première fois qu’un mouvement révolutionnaire réalise une expérience de ce type. Jusqu’à présent, l’enseignement entre les révolutionnaires reproduisait les moules intellectuels de l’académie, avec un haut et un bas stratifiés et congelés. C’est une autre chose. Nous apprenons avec la peau et les sens.

Finalement, une question de méthode ou de forme de travail. L’EZLN est né dans le camp de concentration que représentaient les relations verticales et violentes imposées par les propriétaires fonciers. Ils – elles ont appris à travailler famille par famille et en secret, en innovant le mode de travail des mouvements antisystémiques. Quand le monde ressemble de plus en plus à un camp de concentration, ces méthodes peuvent être très utiles pour nous qui nous entêtons à créer un monde nouveau.
Traduit par Les trois passants et Caracol Solidario
(pour lire d'autres témoignages sur les escuelas zapatistes de cet été, c'est ICI)

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