Retour sur un texte d'André Gorz, paru en 1974
dans le mensuel Le Sauvage. Extrait n°2 (suite et fin).
Leur écologie et la nôtre
Leur écologie et la nôtre
« [...] Essayer d’imaginer une société fondée sur ces critères. La production de tissus pratiquement inusables, de chaussures durant des années, de machines faciles à réparer et capables de fonctionner un siècle, tout cela est, dès à présent, à la portée de la technique et de la science de même que la multiplication d’installations et de services collectifs (de transport, de blanchissage, etc.) dispensant chacun de l’achat de machines coûteuses, fragiles et dévoreuses d’énergie.
Supposez dans chaque immeuble collectif deux ou trois salles de télévision (une par programme) ; une salle de jeux pour les enfants ; un atelier bien équipé de bricolage ; une buanderie avec aire de séchage et de repassage : aurez-vous encore besoin de tous vos équipements individuels, et irez-vous encore vous embouteiller sur les routes s’il y a des transports collectifs commodes vers les lieux de détente, des parcs de bicyclettes
et de cyclomoteurs sur place, un réseau dense de transports en commun pour
les banlieues et les villes ?
Imaginez encore que la grande industrie, planifée centralement, se borne à ne produire
que le nécessaire : quatre ou cinq modèles de chaussures et de vêtements qui durent, trois modèles de voitures robustes et transformables, plus tout ce qu’il faut pour les équipements
et services collectifs. C’est impossible en économie de marché ? Oui. Ce serait le chômage massif ? Non : la semaine de vingt heures, à condition de changer le système.
Ce serait l’uniformité et la grisaille ? Non, car imaginez encore ceci : chaque quartier, chaque commune dispose d’ateliers, ouverts jour et nuit, équipés de gammes aussi complètes que possible d’outils et de machines, où les habitants, individuellement, collectivement ou en groupes, produiront pour eux-mêmes, hors marché, le superflu, selon leurs goûts et désirs. Comme ils ne travailleront que vingt heures par semaine (et peut-être moins) à produire le nécessaire, les adultes auront tout le temps d’apprendre ce que les enfants apprendront de leur côté dès l’école primaire : travail des tissus, du cuir, du bois,
de la pierre, des métaux ; électricité, mécanique, céramique, agriculture...
C’est une utopie ? Ce peut être un programme. Car cette "utopie" correspond à la forme
la plus avancée, et non la plus fruste, du socialisme : à une société sans bureaucratie, où
le marché dépérit, où il y en a assez pour tous et où les gens sont individuellement et collectivement libres de façonner leur vie, de choisir ce qu’ils veulent faire et avoir
en plus du nécessaire : une société où "le libre développement de tous serait à la fois
le but et la condition du libre développement de chacun". Marx dixit. »
Publié en 1975 aux éditions Galilée, sous le nom de Michel Bosquet,
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