Ch. 4 : "La materia prima et l'alchimie du moi
Création contre travail
L'acte de créer est à l'humanisation de la nature et à la vie ce que le travail
est à la dénaturation et à la mort programmée.
La lecture accélérée des évidences place désormais au rang de banalités un constat hier encore révoqué en doute : l'exploitation économique a mené les hommes et leur milieu aux limites d'une survie dont l'apogée coïncide avec la chute.
L'histoire de la marchandise et l'histoire des hommes qui la produisent
est une seule et la même ; elle se fait en défaisant ceux qui la font.
Nous voilà prévenus et, sinon rassurés, du moins prémunis contre tant de terreurs ressassées de siècle en siècle et que nous savons inhérentes à un système dont les mécanismes ont perdu leur caractère inéluctable. L'apocalypse appartient au passé et au sinistre cortège de ses horreurs cycliques. Le véritable Déluge n'a jamais été, parti des premiers remparts de Jéricho, que le déferlement des valeurs marchandes ensevelissant les valeurs humaines sous les eaux glacées du profit.
Les hauts lieux de la vie, que n'arasèrent jamais les vagues successives de la conquête marchande, servirent longtemps de refuge à ceux qu'affligeait la routine des affaires et des passions stipendiées. Ces îles qu'un lent reflux révèle à leur nouveauté sous les noms anciens d'amour, de générosité, d'hospitalité, de jouissance, de créativité désignent aujourd'hui les vrais chemins d'une présence humaine sur la terre. La révolution n'a été jusqu'à présent que le changement de décor dans la séculaire mise en scène de l'économie. Je ne pressens de révolution authentique que dans l'aménagement quotidien et individuel d'un paysage humain.
Il aura fallu l'Amazonie incendiée, la couche d'ozone déchirée, la terre blessée, le souffle irradié de l'air pour découvrir sous la nature informatisée, comptabilisée, dépecée à l'aune de sa valeur d'échange, une autre nature, qui offre ses ressources et sa force à qui dédaigne de les lui arracher pour une poignée de dollars.
L'environnement change parce que se modifient le regard, l'oreille, le toucher, le goût, le sentir, la pensée, l'attitude si longtemps emprisonnés dans la seule perspective du pouvoir et de l'argent. Ainsi dans l'ennui et la grisaille d'un univers en déclin surgit la passion de renaître au sein d'une planète et d'une existence si bien connues par ce qui les tue qu'elles demeurent au simple regard de la vie comme neuves et inexplorées. [...] »
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