29/09/2015

« « Nous avons une logique différente,
construite sur un monde différent... »

À lire (et télécharger) sur le blog des éditions Libertalia:
« Trois fois non »,
de John Holloway
Intervention prononcée lors du Festival de
la démocratie directe à Thessalonique,
le 4 septembre 2015.

I
Non, non, non. Trois non. Trois dates : 5 juillet 2015,
6 décembre 2008, 15 décembre 2008. Trois ruptures.
II
5 juillet 2015
Le premier Non résonne encore dans les airs, tout le monde en parle encore : le grand Oxi du 5 juillet, une nuit où le monde se mit à danser dans les rues. Un Non absurde, ridicule... un NON d’espoir, un NON de dignité.
En 1795, William Blake imaginait les réactions des rois d’Asie à la vague révolutionnaire qui déferlait sur l’Europe. Il imaginait les rois exhortant leurs conseillers :

« A supprimer à la ville la fourniture en pain,
Que le rebut apprenne à obéir,
Que la fierté du cœur puisse faiblir,
Que le désir dans les yeux puisse s’éteindre,
Que la délicatesse de l’oreille en son enfance
S’émousse, et que les narines se ferment,
A apprendre aux vers mortels le chemin 
Qui conduit aux portes du tombeau »

Voilà ce qu’était la longue période de négociations entre les gouvernements de la Zone Euro et Syriza : pas seulement une négociation, mais aussi une humiliation, une tentative de tuer la fierté du cœur, d’apprendre aux vers morbides le chemin qui part des portes du tombeau. Le NON du 5 juillet était un NON à l’humiliation : il dilatait les narines, aiguisait l’ouïe, réveillait le désir dans les yeux ; il était un cri de dignité, une affirmation de notre dignité

Le grand Non du référendum ne mena nulle part, peut-être qu’il ne pouvait que mener nulle part. Les gouvernements répliquèrent à peine une semaine plus tard : « Désolé, mais nous ne comprenons pas ce que vous dites, nous ne comprenons pas votre langage. Quel est ce mot ’’Non’’ ? Vous dites n’importe quoi. Vous vivez dans un monde imaginaire, un monde qui n’existe pas. La Réalité de ce monde fait que dans ce référendum, vous aviez le choix entre OUI et OUI. La Réalité est qu’il n’y a pas d’autre option que d’être conforme. »

Un Non s’est noyé, un espoir s’est étouffé. Pourtant, cela reste notre point de départ, le point duquel nous tentons de comprendre le monde. Dans ce Non, nous nous reconnaissons, dans ce Non nous cherchons notre humanité. Ce Non est notre langage, notre grammaire, l’expression de notre réalité. Le grand Oxi continue de résonner dans les airs, tout comme un baiser reste en suspend derrière le passage des amoureux. Il résonne puissamment, renforcé par l’écho d’un Non précédent, la grande rupture d’il y a sept ans : décembre 2008. (...)
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Extrait de la conclusion :
(...) C'est la première leçon à tirer de ces derniers mois : le pouvoir de leur rationalité. Une fois que nous avons mis le pied dans leur réalité, nous sommes perdus. Nous devons dire haut et fort : « Nous avons une logique différente, construite sur un monde différent. Votre logique ferme l'esprit et le corps, elle nous dit qu'il n'y a pas d'autres moyens de penser et d'agir, qu'il n'y a pas d'alternative. Votre logique est basée sur un monde qui existe, mais nous savons que c'est une logique de mort qui nous mène littéralement à la destruction totale. Notre logique est basée – et cela est autant sa force que sa faiblesse – sur la création possible d'un monde qui n'existe pas encore, un monde qui existe bien que pas-encore, dans nos rêves, nos luttes, nos impulsions créatives. » (...)

John Holloway est l’auteur de Changer le monde sans prendre le pouvoir (Lux/Syllepse, 2007), Crack capitalism, 33 thèses pour en finir avec le capital (Libertalia, 2012), 
Lire la première phrase du Capital (Libertalia, 2015).

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