30/09/2015

« Décoloniser une partie
de l’imaginaire préfabriqué »


A la question de la définition de la révolution aujourd'hui, Yannis Youlountas (Ne vivons plus comme des esclaves) nous renvoie à son interview du Monde libertaire, en janvier 2015, qui l'a rencontré « pour tenter de dégager les convergences et les différences de perspectives quant à la façon dont la pensée anarchiste est très concrètement mise "à l’épreuve du réel " ».


EXTRAIT 1 :
(...) Le plus court chemin vers l’utopie n'est pas de tourner en rond dans son coin en attendant le grand soir ou l'aube noire, mais de faire autant de pas que possible vers elle, au rythme d'une société minée de longue date par un passif monstrueux, stupide, inégalitaire et liberticide. Il n'y a pas de miracle. La décolonisation de l'imaginaire social ne tombera pas du ciel. Elle n'interviendra qu'au fur et à mesure de la découverte, du désir et de la réflexion, en progressant vers l'utopie et en savourant les avancées qu'elle procure.

De même, nous ne changerons pas le monde uniquement au moyen de petits groupes aussi éclairés soient-ils. Bien sûr, certains épisodes révolutionnaires ont été déclenchés par une poignée de personnes aux rôles décisifs. Mais que sont devenus ces grands moments historiques ? Ce qui a fait échouer chaque révolution n'est pas seulement la contre-révolution aussitôt lancée contre elle, mais aussi, plus profondément, la faiblesse de l'imaginaire social, distillé et institué au bon vouloir des puissants qui n'ont eu aucun mal, par conséquent, à éradiquer "la canaille" en levant aisément des troupes réactionnaires et assassines, puis, plus récemment, un cortège d'électeurs effrayés en juin 1968. Un fruit qui n'arrive pas à maturité ne peut être que stérile. Toute révolution qui devance trop largement l'imaginaire social est condamnée à échouer, sinon dans les premiers jours, du moins dans les suivants.

Par conséquent, cela suppose que préparer la révolution, c'est d'abord contribuer aux mouvements sociaux, parmi les gens qui en ont assez ou qui rêvent d’autre chose. On ne perd pas son "identité libertaire" parce qu’on va à la rencontre de "voisins politiques" avec lesquels on diffère sur un ou plusieurs sujets majeurs. De surcroît, si on désire un horizon véritablement démocratique au sens libertaire du terme, il est nécessaire de faire preuve de vigilance, mais aussi d'ouverture et d’écoute. Il est, par exemple, intéressant d'entendre les doutes et les réserves qu’expriment les gens qui s'intéressent à l'anarchie et de pouvoir y répondre. Par exemple, quand je présente Ne vivons plus comme des esclaves dans des associations comme Attac ou d’autres associations proches de la gauche critique, de l'écologie ou de l’altermondialisme, je découvre, d'une part, beaucoup de choses intéressantes même si je ne partage pas certains points de vue et, d'autre part, je peux mesurer le chemin qui reste à parcourir avant d’oser plus radicalement changer le cours des choses et les bases de la société.

Je peux également vérifier à quels points certaines choses que nous proposons séduisent de plus en plus des gens qui croyaient autrefois que l'anarchie ne pouvait mener qu'au désordre arbitraire et au chacun pour soi. Dans ce genre de circonstances, par exemple, il m'arrive de faire observer que la devise "Liberté, Égalité, Fraternité", pure abstraction républicaine clouée froidement aux frontispices des monuments publics, devient enfin concrète et agissante dans l'utopie libertaire, au point de la résumer parfaitement. (...)

EXTRAIT 2 :
(...) L’anarchie commence par la lettre A, tout comme son synonyme : l’amour. Être anarchiste, c'est faire le pari de l'humain. C'est ne pas céder à la résignation et se dire qu'on mérite tous mieux que la vie dans laquelle on se fourvoie trop souvent, et dans laquelle beaucoup étouffent, souffrent, renient leur capacité à choisir leur pensée et leurs actes. Être anarchiste c'est exiger les conditions de liberté et d'égalité sans lesquelles il n'y a pas de fraternité possible. Être anarchiste, c'est se dire qu'on ne détient pas plus la vérité qu'un autre, mais pas moins non plus, et que l'échange d'égal à égal est donc nécessaire, dans le respect mutuel. Être anarchiste, c’est essayer de construire une société basée sur la vision la plus aimante qui soit de l’humain. C’est reconnaître ce dernier à la fois en tant qu’individu unique et en tant que membre de la communauté humaine universelle.

C'est pourquoi, la démonstration est à faire. Nous devons montrer autour de nous, dans l’action directe, dans notre rapport au réel, ce que c’est qu’être anarchiste, c’est-à-dire ce que c’est que penser un projet qui vise et propose parmi ses bases la fraternité. Il ne s'agit pas, bien sûr, de réduire l'anarchie à l'idéal hippie et à son fameux "peace and love". Car dans l’amour, il peut y avoir aussi de la violence. La violence, étymologiquement, n’est rien d'autre que la force de vie (la violence s'écrit "bia" en grec et se prononce "via"). Pareil au niveau des idées : la confrontation, le débat et même le conflit sont des temps parfois nécessaires pour construire un monde commun. (...)

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