28/02/2015

Colloque Démocratie radicale et utopie

Colloque Démocratie radicale et utopie

Lu sur L'archipel des devenirs :
"Démocratie radicale et utopie"
Colloque international - Université Paris Diderot. 15, 16 et 17 avril
Organisé par le LCSP (L’Archipel des devenirs – Centre de recherche sur les utopies) en collaboration avec l’Université York (Toronto, Canada), le Centre de Théorie Politique de l’ULB (Belgique) et l’Université du Québec à Montréal (Québec).

En associant la démocratie radicale à l’utopie, il ne s’agit pas de prouver que l’une contiendrait déjà l’autre dans son concept pour « découvrir » entre elles une heureuse continuité. Il s’agit plutôt d’explorer les intersections et les tensions qui traversent ces deux séries d’expérimentations, de pratiques et d’idées politiques et sociales. Toutes deux se démarquent clairement des logiques de paisible consensus, de bonne gouvernance et de juridisme autolégitimé qui prétendent épurer le champ social de ses conflits et de ses poches d’altérité.

Contre les diverses formes de domination, d’oppression et d’exploitation, utopie et démocratie radicale veillent à laisser apparaître et s’exprimer les populations déterritorialisées, minoritaires, marginalisées et alternatives – ces bandes parcourant d’autres contrées du possible. Toutes deux puisent ainsi leurs lieux et expériences propres aux marges du pouvoir, dans des communautés qui ne s’intègrent pas à la société normalisée ni ne se soumettent aux codifications hégémoniques, dans des univers de sens reconfigurant le pensable, le dicible et le faisable. Pour autant, leurs procédés, leurs espoirs et leurs paysages ne doivent pas dissimuler trop rapidement leurs différences.

L’utopie et la démocratie radicale renvoient à deux formes différentes d’expérimentation des possibles, à deux « intuitions » distinctes quant à la question de savoir comment peupler un espace avec d’autres possibilités, comment reconfigurer l’ordre social et politique actuellement dominant, quitte à y introduire une dose salutaire de désordres (utopique et/ou démocratiques). Pour sa part, la démocratie radicale se donne pour visée l’extension et l’intensification du pouvoir du demos. Elle inaugure l’avènement d’un sujet et d’une politique liés à la figure d’un « n’importe qui », d’une égalité sans restriction préalable, d’un partage impropre, qui ne pourront être intégrés dans la stabilité supposée d’un ordre consensuel, et qui, en ouvrant l’espace public comme scène de conflit, porte en eux des ruptures tumultueuses, des vecteurs de déterritorialisation et des devenirs minoritaires.

D’un côté, comment penser l’irruption de ce sujet des « n’importe qui » ainsi que ses horizons stratégiques et ses formes d’organisation et d’action ? De l’autre, comment penser l’organisation politique d’une égalité sans qualification, ses possibilités d’institutionnalisation (tirage au sort, démocratie directe, jeux de contingence), et les problématiques liées au pouvoir du grand nombre ?

Si la démocratie radicale porte en germe une égalité politique liée à l’irruption du demos dans l’espace public ainsi que les formes possibles d’institutionnalisation d’une liberté insurgeante, l’utopie nous invite quant à elle à imaginer des agencements variés de communautés inédites. En étalant les possibles sur toutes les dimensions temporelles, ouvrant ainsi des poches d’expérimentation au cœur d’un ici et maintenant incapable de les accueillir dans ses calendriers, elle réinvente des pratiques sociales, des espaces architecturaux et technologiques, des rituels quotidiens, des formes de critique sociale, des procédures de décision, des sociabilités et des relations avec la nature.

En ce sens, même le modèle le plus messianique des utopies se voit contraint de construire sa machine sociale sur terre et de la voir fragmentée, diffusée, critiquée et réinventée dans la démocratie qui s’établit inévitablement dans le partage social de ses modules et roues. Irréductibles à un quelconque « modèle » à imiter ou à un « idéal » à appliquer, les projets utopiques cherchent à créer des nouveaux assemblages territoriaux, de nouvelles sociétés et de nouveaux sujets politiques au cœur même d’un univers capitaliste qui tend à fermer et à surveiller les frontières du possible.

Au cours de ce colloque, nous souhaitons être attentifs aux « moments » concrets de l’utopie et de la démocratie radicale, aux expériences elles-mêmes, aux possibilités et expérimentations de communautés autant qu’aux constructions théoriques justificatives. Empruntant la terminologie de Derrida, peut-être faudrait-il arriver à penser conjointement deux expériences différentes d’une promesse émancipatrice – démocratique et utopique –, qui mobilisent néanmoins toutes les deux notre capacité à chercher des intersections dans leurs cheminements respectifs et à établir des partages solidaires au lieu même de leurs divergences. Par exemple, la démocratie radicale pourrait-elle soutenir une critique égalitaire des tendances à la planification, à la hiérarchisation et à la technocratisation du paysage utopique ?

L’utopie pourrait-elle apporter une audace innovatrice aux formes possibles d’organisation de la démocratie radicale qui risquent toujours de la trahir ? En informant le débat de manière critique à travers les forces spécifiques de chaque dispositif ainsi que ses tensions réciproques, peut-être sera-t-il possible de porter les deux plus loin et de penser avec d’autant plus de portée une politique dissensuelle, inventive, égalitaire et radicale.

PROGRAMME DU COLLOQUE
Mercredi 15 avril
9h-9h30 : Accueil
9h30-10h : Ouverture du colloque : Etienne Tassin

1er atelier : Mouvements sociaux contemporains 1 : Printemps québecois
10h-10h20 : André Duhamel : La grève étudiante du printemps 2012 au Québec
10h20-10h40 : Collectif de débrayage : la tâche infinie des possibles
10h40-11h20 : discussion collective

2e atelier : Mouvements sociaux contemporains 2 : Amérique du sud et Afrique
11h30-11h50 : Ricardo Penafiel : L’eutopie concrète de l’action transgressive
11h50-12h10 : Sonia Dayan : Utopie anti-autoritaire et projet démocratique
en contexte musulman
12h10-12h50 : discussion collective

3e atelier : Histoire de la pensée politique
14h30-14h50 : Stéphanie Roza : Utopie, démocratie totale et souveraineté populaire
14h50-15h10 : Christopher Holman : Machiavelli’s Use of History
and the Ethics of Political Creation
14h10-15h50 : discussion collective

4e atelier : Fiction et préfiguration16h-16h20 Terry Maley : 
The Historical Fate of Fugitive Democracy (Marcuse, Wolin)
16h20-16h40 : Sylvia Chrotowska, James Ingram : Utopia, Alibi
16h40-17h : Alice Carabédian : Ian Banks, utopie et science-fiction
17h-18h : discussion collective

Grande conférence
18h30-19h30 : Miguel Abensour
19h30-20h30 : Discussion

Jeudi 16 avril
5e atelier : Agoraphobie et compétence politique
9h-9h20 : Albert Ogien : Sur une aporie de la démocratie,
ou : peut-on s’en remettre totalement au peuple ?
9h20-9h40 : Francis Dupuis-Déri :
L’agoraphobie face à l’émeute : de l’agora à la rue, du démos à la plèbe
9h40-10h20 : discussion collective

6e atelier : Oligarchie et démocratie directe
10h40-11h : Christophe David : L’argent cessa d’exister et le pouvoir
resta décentralisé (démocratie directe dans la révolution espagnole)
11h-11h20 : Hervé Kempf : L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie
11h20-12h : discussion collective

7e atelier : Pensée politique contemporaine
14h-14h20 : Margaret Kohn : Democracy and the Right to the City : Critique, Norm, Utopia
14h20-14h40 : Julie Perrault : Clastres et la pensée politique autochtone
14h40-15h : Amy Bartholomew : Habermassian Political Theory as Dissential
15h-16h : discussion collective

Grande conférence
16h30-17h30 : Andreas Kalyvas
17h30-18-30 : discussion

Vendredi 17 avril
8e atelier : Temporalités
10h-10h20 : Antoine Chollet : Temps de la démocratie, temps de l’utopie
10h20-10h40 : Philippe Corcuff : routinisation démocratique
10h40-11h20 : discussion collection

9e atelier : Temporalités 2
11h30-11h50 : Yohan Dubigeon : Expérience démocratique et temporalités de l’utopie
11h50-12h10 : Nicolas Poirier : Réflexivité démocratique et temps révolutionnaire :
l’utopie au présent
12h10-12h50 : discussion

10e atelier : Utopie et démocratie, quelle articulation ?
14h30-14h50 : Manuel Cervera-Marzal : Radicalité et utopie,
sœurs ennemies de la démocratie
14h50-15h10 : Anders Fjeld : Impuissances utopiques et démocratie du sensible
15h10-15h30 : Brice Nocenti : Vers un dépassement de la critique radicale
démocratique de l’utopie
15h30-16h30 : discussion collective

16h30-17h : Conclusion du colloque : Martin Breaugh.

Université Paris-Diderot
16-16 avril : Amphi Buffon, 15, rue Hélène Brion, Paris 13e.
17 avril : Amphi Turing, bâtiment Sophie Germain, 
croisement avenue de France et rue Alice Domon et Léonie Duquet, Paris 13e.

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L’archipel des devenirs
Centre de recherche sur l’utopie
Ce centre est actuellement accueilli au sein LCSP par l’axe « Théorie sociale et pensée critique ». Il est soutenu par l’ED 382 (sociologie, anthropologie, philosophie, histoire, géographie, économie, civilisations) avec le souhait de créer une transversale entre les ED de Paris Diderot, notamment avec l’ED de LAC (littérature, cinéma) et avec le soutien de l’IED pour ses activités doctorales. Il a reçu, pour l’année 2014/2015, le soutien de l’IHP. Le centre a ainsi une base interinstitutionnelle à Paris Diderot tout en cherchant à intégrer des chercheurs et des institutions d’autres lieux de recherche, mais aussi d’autres lieux d’expérimentations en dehors du monde académique. Les explorations proposées concernent plusieurs disciplines : philosophie, sociologie, histoire, histoire et philosophie des sciences, littérature, design, pratiques artistiques.

Il vise à être perçu comme un point nodal dans le monde académique pour une question – utopie et expérimentation ou ouverture de possibles – qui suscite manifestement beaucoup d’intérêt et de travaux de recherche mais de façon dispersée. Il cherche ainsi à générer une synergie de recherche par la mise en place d’un espace de convergence. Et à articuler de façon inédite la philosophie politique avec la littérature de science fiction, à établir des liens entre le monde académique et celui des associations et des expérimentations de sociétés alternatives (militantismes, coopératives, jardins, réseaux, etc.), ou encore à faire dialoguer théoriciens de l’utopie et praticiens des arts utopiques (par exemple le remarquable projet européen d’interfaces artistiques et sociales Kom.post) pour examiner (relever, enquêter, comprendre, expérimenter) la politique réelle des utopies en acte.

Argumentaire
La puissante et conflictuelle polyvocité de l’utopie traverse et relie des savoirs, expérimentations, histoires, communautés, critiques et dénonciations très divers. Les discours dénonciateurs, qui y voient un lieu idéal, rêvé, figé, voué dans sa forme même à l’échec, tentent d’en étouffer l’effervescence. Les utopies seraient au mieux inutiles puisque impossibles, au pire dangereuses car porteuses de germes totalitaires.

Nous considérons au contraire que l’utopie ne peut se réduire à une forme de rêvasserie naïve qu’il faudrait soumettre aux médecins de l’ordre, seuls capables de distinguer la réalité de l’imaginaire et de séparer la pesanteur matérielle du monde de la légèreté démocratique des mots. Nous rejetons cette « haine de l’utopie » et les responsabilités qu’elle lui impute. Quoi qu’il en soit, sa tête est ailleurs et n’a pas de temps à perdre – d’autant que ses projets s’étalent chaque fois sur toutes les dimensions temporelles et ne cessent de faire proliférer des potentialités, des lignes de fuite et des devenirs.

L’utopiste ne se laisse pas distraire par les experts soucieux d’administrer le monde en fonction de ses « réalités » et de ses seuils d’impossibilité. Il préfère s’engager dans l’esquisse de nouvelles cartes du possible, expérimenter des possibilités de vie, décodifier les parcelles de l’ordre social pour recomposer ses territoires et redéfinir les mots ordonnateurs des discours consensuels. Notre conviction première est que l’utopie relève de l’ordre d’une expérimentation irréductiblement politique.

Ainsi, l’utopie n’est pas le modèle de la société parfaite qu’il ne resterait qu’à fabriquer en pratique. Elle est traversée de tensions, de brèches, de dimensions non-totalisables qui ne prennent vie qu’à travers des ouvertures fragiles et des modes d’inventivité créant de nouveaux possibles – souvent même dans des situations morose et épuisantes, dans des contextes de fatigue et de conservatisme. Elle fait jouer des excès à travers ses expérimentations littéraires, architecturales, sociales, industrielles, cartographiques, corporelles et politiques.

Elle s’insère dans des paysages sociaux et politiques pour agencer des « ici et maintenant » qui ne se laissent pas réduire aux coordonnées et aux codifications de l’ordre existant, entamant des pratiques qui brisent, fracturent, reconfigurent, projettent, reterritorialisent, construisant des « paysages du possible » dissensuels et inventifs.

Nous voudrons examiner les lieux, les dynamiques, les temps, les écritures et les politiques de ces expérimentations utopiques à travers une approche pluridisciplinaire reliant philosophie, littérature, sociologie, science politique, histoire et pratiques artistiques.

> Le site de l'archipel des devenirs.

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