23/07/2014

"Article 11" tourne la page en janvier

Edito du numéro 17 d’Article11 
(actuellement en kiosques)

Lecteur, lectrice, amie, ami, amour,
Cette fois-ci, pas d’invité de l’édito. Personne pour prendre la parole à notre place. C’est qu’on a des choses importantes à vous dire. Et il n’est pas question de laisser le premier sagouin venu s’arroger le droit de vous annoncer ce qui nous et (peut-être) vous tient à cœur.

En deux mots (enfin, quatre), de notre prochaine disparition. Prévue. Et choisie. Cela fait un moment qu’on y réfléchit et la décision est finalement tombée : fin des haricots, mort du petit cheval, et tutti quanti. Pas tout de suite, mais très bientôt. Plus précisément, on stoppe les rotatives d’ici deux numéros (sans compter celui que vous tenez en main). Les raisons ? Diverses. Et plutôt banales : l’équipe s’est rétrécie au fil du temps, des bonnes volontés ont quitté le navire, la voilure s’est réduite. Et il y a désormais chez les plus impliqués d’entre nous une forme de lassitude, voire de fatigue. Au vrai, on est cramés. Comme des chapons oubliés au four.

On peut voir cet épilogue comme une défaite. Ou le prendre du bon côté. Considérer qu’avoir tenu près de quatre ans – le premier numéro a été imprimé en novembre 2010 après Jésus Christ – est déjà une forme de miracle. Et que savoir s’arrêter à temps s’avère parfois salutaire. Merde alors, si les Rolling Stones avaient implosé plus tôt, Mick Jagger n’aurait jamais été anobli par la dondon royale made in UK.

Avant même l’impression du premier numéro, on l’annonçait : ça ne pouvait pas durer. Impossible. Des bras cassés comme nous, gérer un journal distribué en kiosques ? Pffff, des nèfles ! On n’y croyait pas une seconde. Nos proches encore moins. Et nos dealers, n’en parlons pas. Au vrai, on a lancé ce canard comme on largue un esquif de papier sur une mer déchaînée. En attente des premières lames de fond. S’il coulait à pic après deux numéros, pas grave, on aurait tenté le coup. S’il restait à flot, on colmaterait les brèches qui fatalement auraient dévasté les soutes, puis on aviserait avec le reste de l’équipage.

L’excitation du grand large l’emportait largement sur la peur du naufrage. On prenait la route des kiosques la fleur au goulot, naïfs et curieux, les yeux comme des soucoupes. Il y avait tout un monde à découvrir : le graphisme, la diffusion, la distribution, l’impression, l’écriture cadrée, les chroniques régulières, les textes courts, les textes longs, etc. Byzance, quoi.

On explorait ces territoires nouveaux d’autant plus gaillardement que notre logistique baignait dans l’amateurisme intégral – ni thunes, ni expérience, ni réseau. Parfait. « Ma maison ayant brûlé de fond en comble, plus rien ne me cache la vue de la lune qui brille », professait il y a un bail un grigou oriental. Tout pareil pour A11, qui clapotait dans la simplicité volontaire dès ses premiers tours de kiosques.

Qu’importe l’intendance. Ce qui comptait vraiment (et qui compte toujours) ? Les amis. Des pépites bipèdes capables de s’enthousiasmer pour un projet aussi bancal, de suivre et insuffler le mouvement en babillant d’enthousiasme. Qui écrivent, mettent en pages et gèrent les illustrations (Formes Vives dans nos cœurs forever), qui dessinent ou photographient, qui vendent le journal, corrigent les textes, qui encouragent, qui débouchent les bouteilles, voire qui consolent les éploré(e)s. Sans oublier les lectrices et lecteurs d’élite, qui nous lisent, achètent le canard en kiosques, s’abonnent, envoient des chèques de soutien, des lettres d’insulte ou des mots d’amour. Toutes et tous d’accord pour reprendre en chœur cette belle formule d’Hunter S. Thompson : « Quand les temps deviennent bizarres, les bizarres deviennent pros. »

On se plaît d’ailleurs à croire que le grand maître es gonzo n’aurait pas renié notre modus operandi en matière de conférence de rédaction, les bouteilles, la musique et les discussions oiseuses sonnant immanquablement le glas des molles ardeurs studieuses. Absurde et plaisant. Peut-être même était-ce notre moteur, notre manière de baffer la rationalité pour accoucher d’un truc vraiment personnel. Au réveil, même si rien n’avait été mis sur le papier, on savait que le canard avait progressé. Un genre d’alchimie foutraque.

Les débuts, c’est toujours plus évident, plus passionné. Le journal qu’on faisait à l’époque était moins abouti qu’aujourd’hui (logique), peut-être un tantinet difficile à lire pour les premiers numéros, sans doute mal foutu sur certains textes, mais on traçait toutes voiles dehors. Et pendant près de quatre ans, ça a continué ainsi. Avec des hauts et des bas. Avec cette obligation de gagner des thunes à côté, parce que personne n’était payé (le lot de la presse alternative en général) et qu’on a toujours refusé toute forme de subvention. Avec des engueulades épiques, des coups de cœur, de fatigue ou de bourre, des brouilles, des amours, des cuites, des rencontres, des folles soirées et des difficiles lendemains. La vida, quoi.

Si c’était à refaire ? On replongerait sans hésiter dans la mare aux canards biscornus. Par conviction politique, bien sûr. Par amour de la presse papier et de l’objet journal, évidemment. Mais aussi, et peut-être surtout, pour occuper le terrain dans le grand vide actuel et se mêler aux fringants pirates de la presse alternative. Ils sont d’ailleurs nombreux à ne pas baisser les bras, de CQFD à La Brique et au Postillon, en passant par Le Tigre, Z, Rafale, Timult, L’Autrement, Fakir, Timult, Chéribibi ou Le Nouveau Jour J. Vous n’allez plus nous lire sur papier après janvier prochain, mais eux seront toujours présents, frimant gaillardement dans les kiosques ou en librairie. On vous laisse donc en bonne et hirsute compagnie.

Pour notre part, on y croit toujours. Et on sait qu’on reviendra, d’une manière ou d’une autre (et puis, le site ne baissera pas pavillon, lui). Mais il est simplement temps de passer à autre chose, de se renouveler. Article11 papier a fait son temps. Bref, encore deux numéros – le n°18 en octobre et le n°19 en janvier – et on tire le rideau.

Lecteur, lectrice, amie, ami, amour : on espère que vous comprendrez. On se retrouvera de toute façon, ici ou ailleurs. (...) Sur ce, bonne lecture. Et n’oubliez pas : un journal qui meurt, c’est un peu de forêt vierge en plus.
Bisous, 
Les filles et les gars d’Article11

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ça n’empêchera heureusement pas la diffusion par le site (comme avant)? Et au moins, ça nous reposera les yeux et ça redeviendra LISIBLE.

Alfred.

kuriakin a dit…

Il y avait eu de l'amélioration côté lisibilité depuis quelques numéros, je trouve. En dehors de une ou deux pages. Et puis, malgré tout, c'est quand même beau le papier, plus vivant, moins froid qu'une page sur ordi.
K., qui ne pourra pas valider d'autres commentaires pendant qq jours, faute d'ordi, justement.