11/03/2014

Une épicerie coopérative à Lyon en 1835


Paru en 2002 (avant l'invention du blog !) 
mais encore trouvable :

"Le commerce véridique et social
de Michel-Marie Derrion (1835-1838). Petites visites
chez les utopies coopératives de nos grands-parents",
de Denis Bayon

« Est-il opportun de ressusciter, le temps d’un texte, Michel-Marie Derrion, obscur expérimentateur social, initiateur de la première coopérative de consommation connue "Le commerce véridique et social" que tout le monde semble avoir oubliée depuis longtemps ? Les temps que nous vivons semblent aussi éloignés que possible de ceux de Michel, fils d’un négociant en soie du quartier lyonnais de la Croix-Rousse, né l’avant-dernière année de la République consulaire (1804), rédigeant ses brochures et textes séditieux, depuis longtemps introuvables, dans le bruit des canons et des fusillades de la répression des grandes manifestations ouvrières de 1834. Ces ouvriers canuts, qui feront si forte impression sur les penseurs du socialisme, gage de l’émancipation de tous et qui, pour certains, tenaient les rêveurs comme Derrion en piètre estime. Ce livre n’a pas l’ambition d’un travail fouillé d’historien. II est écrit pour l’action présente. Que peut-on apprendre, plus de cent soixante années plus tard, des premières tentatives de dissidence économique qui écrivent un chapitre de l’histoire, en cours, des utopies économiques ? »
Aux éditions de l'Atelier de création libertaire, 65 pages, 4 euros. Septembre 2002. 
Commandable en ligne chez l'éditeur.

VOIR AUSSI :
"Michel-Marie Derrion, pionnier coopératif"par Denis Bayon (2000)

Intro de l'article : Michel-Marie Derrion, créateur à Lyon de cette très fragile primo-coopérative, dix ans avant l’initiative bien plus célèbre des tisserands anglais de Rochdale, visait l’élimination des intermédiaires interposés entre la « production primaire » et la consommation. Il s’agit bien d’expropriation, cependant les coopérateurs ne disent pas aux capitalistes « nous allons prendre vos capitaux », mais plutôt : « gardez-les, nous en ferons d’autres qui nous dispenseront de recourir aux vôtres ». La visée de l’économie sociale qu’inaugurent en France Derrion et ses compagnons est ainsi clairement l’indépendance, c’est-à-dire la fin du travail pour le compte d’un maître, et un droit de propriété réel. (...) 
(A lire aussi dans ce pdf, un encadré sur les expériences, ratées, de "socialisme expérimental" d'inspiration fouriériste de Sai et de Palmital, au Brésil, en 1841).

> Lire aussi « Lyon, ville d’expérimentations. 
Autour d’un livre de Denis Bayon »sur le site charlesfourier.fr (2005).

Extraits : (...) L’épicerie coopérative que Derrion et Joseph Reynier (saint-simonien et fouriériste) créent a pour vocation de mettre fin à « la concurrence malfaisante et oppressive», au laissez-faire que favorise le développement d’une classe commerçante oisive et parasite. Il s’agit de se rendre maître de la distribution pour se détourner des pratiques commerciales que Fourier dénonce comme frauduleuses, sources de surproduction, de spéculation, d’agiotage et même de dégradation de la qualité des marchandises. Derrion lance une souscription pour la fondation d’une vente sociale d’épicerie devant préfigurer la grande réforme sociale. Y répondent favorablement saint-simoniens, fouriéristes et francs-maçons. Le principe de cette épicerie sociale, dont l’enseigne « Au commerce véridique » est déjà une proclamation et un combat, vise à limiter la concurrence malfaisante et génératrice d’effets pervers : baisse des salaires, baisse de la qualité des produits, misère des consommateurs. Fourier est le géniteur imaginatif de cette expression « commerce véridique ». (...)

Ne plus s’approvisionner sur les marchés locaux c’est favoriser selon Fourier le parasitisme commercial et le vampirisme du commerce. On aboutit ainsi à ce paradoxe du mécanisme civilisé : générer la pauvreté en civilisation d’abondance. Cette organisation de la concurrence et de l’accroissement du commerce devient contraire à toute rationalité et utilité collective. La liberté anarchique du commerce produit des effets pervers que la science dite « économisme » se refuse à analyser et à prendre en compte. (...)

Revenons à cette expérience d’une épicerie coopérative à Lyon. Elle affiche comme vocation de contrôler démocratiquement les opérations de commerce, d’assurer l’approvisionnement des produits de qualité aux ouvriers et constituer un fond social dont l’utilisation est débattue démocratiquement. Sept magasins sont ouverts : épicerie, charcuterie, boulangerie... Ces entreprises sont bénéficiaires (bénéfices redistribués pour la solidarité : retraite, chômage et éducation) mais elles ne durent que trois années, mises à mal par la crise économique qui sévit entre 1836 et 1837 : « vie et mort du commerce véridique ».

En 1848, « la Société des travailleurs unis », qui comprend des saint-simoniens, des icariens, des fouriéristes, tente une nouvelle fois de mettre en harmonie la production et la consommation au moyen d’un système d’échange de marchandises contrôlé. Sur le plateau de La Croix-Rousse voient le jour : une boulangerie, une charcuterie, six épiceries. En 1851, le coup d’Etat met fin à ces expériences économiques et politiques. Les militants sont dispersés et emprisonnés. (...)

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