29/10/2013

La Grèce ne s'en laisse pas conter


Lu sur "Place publique" (extraits) :
Grèce : quand la crise produit de l’innovation sociale et économique
par Annette Preyer

En Grèce, plus personne n’attend de solution venant de l’Etat. Les Grecs renouent avec les principes vieux de 2500 ans qui ont fait naître la première démocratie à Athènes : ils s’associent localement en citoyens et prennent leurs affaires en main eux-mêmes. Portraits de ces Grecs qui créent de nouvelles structures pour s’entraider et produire ensemble.

« Grâce à notre marché je peux faire une cuisine saine pas chère. » « Grâce à notre réseau j’ai pu ré-augmenter mon niveau de vie. » « Grâce à notre coopérative je peux à nouveau exercer mon métier. » Phrases de fin d’interview entendues à Thessalonique, Volos et Athènes, en juillet et août 2013

Acheter ensemble. Besoin primordial s’il en est, l’alimentation a fait l’objet des premières initiatives de terrain. Le mythe veut que le mouvement dit "de la pomme de terre" soit né début 2012 à Katerini, petite ville de 85 000 habitants au pied du mont Olympe. Dès 2007, des associations y avaient commencé à se substituer ponctuellement à l’administration défaillante. La crise venue, il s’agissait de se battre contre le niveau des prix, inchangé dans les supermarchés, alors que les salaires et retraites avaient baissé brutalement. Pour cela, paysans et consommateurs ont exclu les intermédiaires du circuit d’approvisionnement et se partagent leurs marges. Un accord gagnant-gagnant : des prix plus élevés et du cash pour les paysans, des prix plus bas et une meilleure qualité pour les consommateurs.

Après les pommes de terre, les oignons et les oranges. Le mouvement a pris de l’ampleur. Aujourd’hui les groupements citoyens organisent de « vrais » marchés, avec des fruits, des légumes, des produits laitiers, de la viande, du miel, de l’huile d’olive. Parcs municipaux, parkings, ou tout simplement la plage, l’imagination ne manque pas pour trouver un lieu. Rien que dans la région d’Athènes on compte une quarantaine de ces marchés, une bonne douzaine à Thessalonique, deuxième ville du pays, et 120 dans toute la Grèce. (...)

Echanger localement. L’esprit de solidarité et d’entraide, voici justement le moteur des banques de temps, cercles d’échanges et autres systèmes LETS (Local Exchange Trade Systems). La Grèce en compte désormais une bonne trentaine. Alors que la pénurie d’euros paralyse l’économie, l’utilisation d’une unité de valeur strictement locale injecte à nouveau des liquidités et peut relancer l’activité sur un territoire circonscrit. (...)

Dimitris Mouroulis, 40 ans, physicien, vient de s’établir comme webdesigner indépendant quand la crise contraint ses clients à reporter puis annuler leurs projets. « J’ai du temps, je vais l’employer à être créatif », décide-t-il alors. Il imagine une plateforme d’échanges de services en ligne ; du troc fluidifié par une unité de mesure virtuelle. (...) Quels services sont proposés au sein du réseau ? Expertise comptable, peinture en bâtiment, prise de vue vidéo, psychothérapie, ... Dimitris lui-même y a trouvé une garde-malade pour sa mère, des cours de guitare électrique et de taekwondo. (...)

Christos, Mairita et quatre autres passionnés par un idéal semblable commencent en avril 2010 à concevoir un réseau. Pour faire quoi ? De tout un peu, – réparer la machine à laver, enseigner l’anglais, garder des enfants, jardiner – et fournir quelques produits – vêtements, livres, meubles, tomates du potager ... Bref, tout simplement répondre à la demande. Comment ? En rapprochant l’offre et les besoins. Plus facile à dire qu’à faire ... Christos trouve le logiciel libre Cyclos. Avec la contribution d’autres intéressés, de Crète notamment, Cyclos est traduit en grec et adapté à leurs besoins, c’est-à-dire surtout simplifié. Et comment payer et se faire payer ? Grâce au TEM bien sûr, la monnaie virtuelle. Le TEM, la monnaie du troc, correspond à un euro. Mais pour ne pas provoquer la Banque centrale ou le fisc on évite de parler de monnaie. (...)

Principes fondateurs obligent, dans la plupart des réseaux grecs, toutes les décisions sont prises par l’assemblée des membres. A défaut d’un consensus, il peut y avoir vote. Mais il n’y a ni direction ni représentants élus. L’assemblée débat de questions de toute nature, du détail pratique aux règles générales. Vaut-il mieux intégrer des personnes de localités un peu éloignées ou les aider à créer leur propre réseau ? Peut-on exclure un homme qui harcèle des femmes bien qu’il soit sans abri ? Voulons-nous autoriser la vente de produits alimentaires hors de la zone cuisine/restauration ? Comment répondre à une offre de coopération de la mairie ? (...)

Quel peut être l’avenir de ces réseaux ? « Nous devons diversifier les produits et services, affirme Eleni Thanou à Athènes en m’offrant des figues de son jardin. Je m’efforce de recruter mon coiffeur et mon jardinier pour free-economy.gr. Si chacun pouvait dépenser 15% de son budget dans le réseau je serais très contente. » Mairita à Volos va encore plus loin : « Ce serait formidable si la visite au supermarché devenait
une corvée exceptionnelle ». (...)

Maria Scordialos, formatrice en management participatif et très impliquée dans l’innovation sociale, rappelle l’expérience acquise dans d’autres LETS : « au-delà de 1000 personnes cela marche moins bien. Ici il s’agit de créer un autre sens de la valeur, de partager autre chose que juste une autre monnaie pour échanger. La relation prime sur la transaction. » « Quand tu paies un service en euros, la relation s’arrête là. En TEM, il y a plus que ça, confirme Maria Mccarthy. La relation est différente. Les gens sont généreux. » (...)

A Volos, TEM lance désormais des productions communes pour renforcer les liens entre membres. Il cherche un terrain agricole pour cultiver des légumes. Un atelier de menuiserie est en cours d’installation. Pour réparer des meubles et ainsi réduire la consommation, pour fabriquer du neuf et être créatif, pour aider ceux et celles qui n’ont pas l’outillage nécessaire mais désirent apprendre. Christos insiste beaucoup sur cet aspect : « la transmission des savoir-faire et de la connaissance me tient particulièrement à cœur. »

Produire ensemble. Depuis septembre 2011 des coopératives dites sociales peuvent être créées en Grèce (loi 1409/2011). Dans ces structures, chaque membre a une voix, peu importe sa part dans le capital. Le bénéfice doit être majoritairement réinvesti, surtout pour créer des emplois. Seul le solde peut être distribué entre les coopérateurs. Eleni Papatheodosiou, rencontrée dans le réseau Koino à Thessalonique, vient de choisir ce nouveau statut. Elle crée une coopérative avec quatre autres femmes, dont sa propre fille de 23 ans qui termine ses études de mathématiques. Elles installent une cuisine professionnelle pour fabriquer des gâteaux et des confitures. Pour commencer. Le samedi sera très bientôt un jour "portes ouvertes" où d’autres pourrons venir pour tester leurs propres recettes ou pour apprendre.

A Chalandri dans la banlieue nord d’Athènes, le marché dominical en circuit court a donné des idées. Faute d’argent, la commune réduit les transports scolaires et ferme des crèches et écoles maternelles ? Que faire de ses enfants quand on a encore la chance de travailler ? Des parents se regroupent en coopérative pour créer ensemble un jardin d’enfants et une école fournissant tutorat et cours particuliers. « Nous sommes 18 familles à avoir décidé d’embaucher trois instituteurs pour s’occuper de nos 23 enfants entre 1,5 et 4 ans, raconte Kostas Gerolymatos, l’un des pères concernés. Une amie met une maison avec jardin à notre disposition. » (...)

A l’issue de ce périple au sein des initiatives locales, un sentiment d’espoir domine. « Depuis la crise, beaucoup de gens sont en colère. Dans le réseau TEM nous sommes créatifs. Au lieu d’accuser autrui, nous sommes conscients de notre propre responsabilité. Nous aussi avons profité du système antérieur », commente Christos
Papaioannou à Volos. (...)

> Pour lire ce long et très intéressant reportage (été 2013) dans sa totalité.

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