13/07/2013

L'autogestion, recette miracle ?

Lu sur le site de la fondation Pierre Besnard (juin 2013) :

"L’autogestion, ça ne marche pas toujours"
Ce titre est celui d’une intervention lors de la Foire à l’Autogestion à Montreuil le 9 juin 2013, très intéressante par sa clarté et sa sincérité (suivie seulement par une dizaine de personnes).

Deux camarades du SUB [Syndicat unique du bâtiment] de la CNT Vignoles (un architecte et un travailleur manuel du bâtiment) ont expliqué leur expérience. Ils avaient déjà donné un schéma préalable sur internet et, durant la discussion, fidèles à la tradition de sérieux et de pédagogie militante du SUB, ils ont distribué trois pages de questions pertinentes sur l’expérience, tout en reprenant leur schéma posté sur internet.

En gros (je n’ai malheureusement participé qu’à la première heure, après je participais à l’autogestion d’une partie de la Foire), il s’agissait du lancement d’une coopérative de type Scop [Sociétés coopératives et participatives] – La belle équipe – dans le bâtiment dans la partie second œuvre (petite maçonnerie, aménagement et finition intérieurs). Les objectifs étaient de « démontrer que l’autogestion est possible » et de lutter contre le consumérisme, de participer à la prise de conscience de la globalité de la société, que le SUB entretient depuis quelques années avec des activités de ciné-club, d’un club de football, de sorties collectives, en plus de la formation purement syndicale.

Pour la coopérative, deux actions parallèles ont été menées : le financement du matériel et la participation à la coopérative. Concrètement, pour le matériel, deux copains ont apporté 14 000 euros (deux prêts bancaires personnels) et deux copains se sont inscrits, 5 000 euros chacun, ainsi que le syndicat lui-même, 4 000 euros. Durant les deux années d’activités, il y a eu deux gros problèmes. D’abord, le décalage de la formation pour le boulot pratique qu’un seul associé pouvait faire (ou alors il devait former un compagnon et ne pas travailler pour la Scop, d’où des problèmes pour le respect des délais des travaux). Enfin, l’obstacle de l’ignorance des aspects dits administratifs : devis, comptabilité, factures, activité commerciale.

Dans la pratique, un seul camarade a assuré les besognes manuelles et administratives (grosse aide d’autres compagnons du syndicats), à cause du départ d’un associé et de la difficulté de trouver une autre personne capable. En effet, dans le BTP, la règle est « Vite fait, bien fait », ce qui donne qu’il y a fort peu de compagnons ouvriers vraiment formés et capables. De plus les PME pratiquent les prix les plus bas et, conséquence du « Vite fait, bien fait », des propositions de fin de travaux rapide au mépris de la qualité. Donc la Scop était dans un environnement très dur, avec un seul copain au gouvernail et le syndicat est intervenu, avant qu’il ne craque, pour mettre un terme à l’entreprise.

Le côté positif est qu’un camarade manuel s’est surpassé et a accompli fort bien de nombreuses tâches techniques manuelles et intellectuelles. Le côté critique est qu’il est tombé dans la spirale de « sauver l’entreprise » avec d’abord des journées de 8 heures + 2 heures de boulots administratifs par jour, et 5 heures du même boulot pendant le week-end, soit 55 heures qu’il acceptait de voir payer 35 heures (1 500 euros, un bon salaire dans le BTP). Puis, à la fin, il est passé à 14 heures par jour, 7 jours sur 7. En allant jusqu’à ne pas comprendre que des compagnons embauchés à l’essai n’en fasse pas autant que lui. Et, autre côté positif, le syndicat a sagement mis l’expérience en sommeil, pour réfléchir sur ce cas. (...)

Personnellement et brièvement, j’en tire que l’autogestion sur le plan économique dans le premier monde (les grands pays capitalistes) est coincée (voire sabotée, torpillée) dans la pratique par toutes les pratiques commerciales de mainmise sur une part de marché, de dumping, de refus d’approvisionnement par les entreprises ayant « pignon sur rue » et les lois et les impôts sur ce genre d’essai économique à contre-courant du capitalisme.

Il en va tout autrement dans le tiers monde (voire en Grèce, qui y a les deux pieds dedans depuis 70 ans), parce qu’en général les cas d’autogestion se font dans et pour des couches sociales bannies du commerce officiel (atelier de fabrication de parpaings, boulangerie, pizzerias, potagers autogérés par et pour des précarisés, des indigents, dans le cas de l’Argentine en 2013).

En fait, l’autogestion dépasse l’économie parce qu’elle implique le refus d’une tutelle athée, religieuse ou d’une hiérarchie se justifiant par une vision du futur dont elle aurait seule la clé. L’autogestion c’est la prise en main de son propre futur avec un groupe social en changeant les règles inhumaines de la « bonne société » des gagnants et des perdants, des mensonges et du culte de son nombril pour dominer, humilier les autres.

C’est pourquoi un groupe, un couple, une organisation politique, syndicale, etc., qui ne fonctionne pas ainsi est condamnée à réinventer le fascisme, l’inquisition, donc le marxisme léninisme, l’autre face du capitalisme. Et on le voit encore trop en juin 2013.
Frank Mintz, syndicat de l’Éducation, CNT-Solidarité ouvrière, 13.06.13.

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