le méchant et grognon Gbagbo d'un côté, mauvais joueur, qui refuse de laisser sa place au beau, sympathique et gentil démocrate Ouattara.
Ça avait l'air tellement évident, clair et simple, que cela n'éveillait en moi guère d'interrogations. Il est vrai que voir la France, les Etats-Unis et la plupart des Etats occidentaux se prendre d'amour pour le droit et la démocratie en Afrique tranchait avec ce à quoi ils nous avaient habitué jusqu'à présent. Un élément qui aurait dû me mettre la puce à l'oreille... Ces pays n'auraient-ils pas quelque intérêt politique ou économique dans cette aventure ? Non, ce n'est pas possible. Pas eux ! Ils ne défendent que la liberté des peuples, c'est de notoriété publique.
Et je suis tombé, un peu par hasard, sur l'article de Samuel Foutoyet dans le numéro de la revue S!lence d'avril. Samuel Foutoyet est membre de l'association Survie, qui s'est donné
« trois objectifs principaux : réinventer la solidarité internationale par la promotion des Biens publics mondiaux ; ramener à la raison démocratique la politique de la France en Afrique (lutte contre la Françafrique et le néocolonialisme), combattre la banalisation du génocide. » Il est l'auteur du livre Nicolas Sarkozy ou la Françafrique décomplexée, paru aux éditions Tribord en 2009. L'article clair et concis s'intitule « Comment j'ai ravagé la Côte d'Ivoire à coups de tablettes de chocolat ». Oh oh... Ça se gâte !
EXTRAIT : « [...] Et la cacao dans tout ça ? Depuis 2000, ma tablette de chocolat arme les deux camps. Gbagbo, qui contrôle 90 % des plantations, a remplacé la Caistab [Caisse de stabilisation et de soutien des prix des productions agricoles] par une multitude d'institutions opaques, toutes inféodées au régime. Au Nord, les rebelles exportent le cacao au marché noir, essentiellement par le Togo. Comme pour le diamant en Angola, le coltan au Congo, la fève alimente la guerre et les paysans trinquent. Sur une tablette de 2 euros, les petits producteurs ne touchent que quelques centimes et les seigneurs de la guerre, quelques dizaines. Le reste, c'est pour Cargill, ADM, Tropival, Unilever, Cémoi, Nestlé
ou encore Bolloré, qui contrôle le rail, le port d'Abidjan, et transporte l'essentiel des exportations. Sans oublier la nébuleuse d'holdings et de boursicoteurs en tout genre
qui spéculent allègrement sur la crise. Depuis, le déclenchement du conflit, les cours
du cacao remontent [...] »
Il nous parle également, bien sûr, de la colonisation et de l'accaparement des richesses
de l'Afrique, de la manne financière du cacao pour l'oligarchie en place, des déplacements
de population pour satisfaire la filière cacao, du FMI et de la Banque mondiale qui, comme d'habitude, acceptent d'aider le pays sous conditions : couper dans les budgets sociaux, privatiser à tour de bras, brader les services publics, faire de gros cadeaux aux multinationales (surtout françaises), etc.
Et devinez qui a débarqué pour mener à bien ce programme dans les années 90... : Monsieur Ouattara, économiste formé aux Etats-Unis, ami proche de Bouygues et de Sarkozy (qui a eu le plaisir d'ailleurs de le marier à Neuilly avec une riche française, travaillant dans l'immobilier), ancien directeur Afrique du FMI (voir ci-dessous son CV trouvé sur Wikipédia), qui s'est empressé de boucler un certain Gbagbo, qui avait tendance, à l'époque, à s'offusquer de la main-mise occidentale sur son pays. Ensuite, chacun son tour a voulu tirer son épingle du jeu, cherchant notamment l'appui de la France en signant des contrats juteux et particulièrement avantageux pour les sociétés amies (Bolloré, Bouygues, Total, Vinci...).
Le but de ce post n'est pas de prendre fait et cause pour l'une ou l'autre des parties, car, au fond, elles se valent, et la population sera comme toujours le dindon de la farce et fera les frais de leurs appétits d'argent et d'honneurs. Un post pour simplement donner un autre petit son de cloche dans l'assourdissant concert d'unanimité des médias occidentaux. Un conflit sur lequel les partis de gauche français n'ont semble-t-il pas grand chose à dire. L'Afrique, c'est tellement compliqué, mon cher ami... « Ils sont tellement différents ces gens-là... »
Sans commentaire.
[Pour mémoire, CV de Monsieur Ouattara. Avril 1968 - août 1972 : économiste au FMI à Washington. Août 1973 - février 1975 : chargé de mission au siège de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) à Paris. Février 1975 - décembre 1982 : conseiller du gouverneur et directeur des études de la BCEAO à Paris puis à Dakar.
Janvier 1983 - octobre 1984 : vice-gouverneur de la BCEAO à Dakar.
Novembre 1984 - octobre 1988 : directeur du département Afrique au FMI à Washington. Octobre 1988 - décembre 1990 : gouverneur de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest à Dakar. Avril à novembre 1990 : président du comité interministériel de la Coordination du programme de stabilisation et de relance économique de la Côte d'Ivoire. Novembre 1990 - décembre 1993 : Premier ministre de Côte d'Ivoire.
Mai 1994 - juillet 1999 : directeur général adjoint du FMI.]
Pour aller plus loin :
> L'intéressant article de Jeune Afrique comparant
les deux univers des présidents en concurrence aujourd'hui en Côte d'Ivoire.
> La rubrique "Côte d'Ivoire" du site de l'association Survie.
> La rubrique "Côte d'Ivoire" du Comité pour l'annulation
de la dette du Tiers-Monde et son long article éclairant les derniers événements.
> Ecouter l'émission Françafrique (58 min)
de Radio fréquence Paris Plurielle sur le sujet (26/2/11).
3 commentaires:
Lire aussi (il n'est jamais trop tard pour se réveiller) le communiqué d'Alternative libertaire du 6 avril :
http://www.alternativelibertaire.org/spip.php?article4148
"Mais qu’est-ce que font les militaires français en Côte d’Ivoire ?" Interview de David Mauger, de l'association Survie (13 min). Ecoutable en ligne ou téléchargeable :
http://sonsenluttes.net/spip.php?article294
mardi 31 mai 2011 à 19h
L'Agora, 20 rue de Stalingrad, Nanterre (92)
RER-A Nanterre-ville.
"Côte d'Ivoire : comprendre la crise et entendre la société civile pour éviter l'embrasement"
Soirée coordonnée par le Collectif des Ivoiriens de France pour la Démocratie et Droits Humains (Cifddh) & coorganisée par le Réseau International pour la Paix en Cote d'Ivoire (Repaci) et l'association Survie-Paris-Ile de France.
"Les élections de l'automne dernier ont replongé la Côte d'Ivoire dans la violence. Loin des promesses d'une résolution apaisée du conflit, deux camps réclament la victoire. Qu'on ne s'y trompe pas, les victimes de cette élection ne sont pas à chercher du côté des candidats. Après deux décennies d'une crise politico-militaire profonde, la population ivoirienne, déjà sévèrement touchée par le chaos social et économique, se retrouve aujourd'hui l'otage d'une situation politique binaire, extrémiste et violente. Des négociations de Marcoussis aux isoloirs, huit ans de statu-quo militaire, de tensions toujours entretenues, de régression sociale et de marginalisation de la société civile. Huit ans ponctués d'accords politiques de dupes, de reconduction des contrats aux grands groupes français. Huit ans dont le bilan le plus marquant est celui des exactions. Celles des rebelles, des paramilitaires loyalistes et celles des soldats français. Après l'échec d'une décennie de négociations entre politiques, il est urgent d'écouter la société civile !"
Avec : Oumou Kouyaté présidente du Collectif des Ivoiriens de France pour la Démocratie et Droits Humains (Cifddh), Ardiouma Sirima du Réseau International pour la Paix en Cote d'Ivoire (Repaci), David Mauger de l'Association Survie.
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