23/02/2011

Existe-t-il un anarchisme au Maghreb et au Moyen-Orient ?

anarchie arabeAu moment où les peuples du Maghreb et du Machrek semblent vouloir secouer leur joug, je suis tombé sur
la traduction en arabe de L'anarchisme, de Daniel Guérin.
Ce livre traduit, semble-t-il, par un groupe de libertaires libanais,
et tiré à 4000 exemplaires, est disponible d'occasion
(3 € au lieu de 8 €) sur la Boutique web d'Alternative libertaire. Pour ceux qui veulent se lancer dans un peu de propagande...

Une occasion pour s'offrir une Minute d'anarchie et s'interroger, par curiosité, sur la présence (ou non) d'un anarchisme dans ces régions... Avouons-le, cela ne fera pas l'objet de plusieurs tomes encyclopédiques
car il existe très très peu de choses sur le Net à ce sujet.

Nous avons trouvé sur RAforum un article de Jason Adams
traitant de l'anarchisme au Moyen-Orient.
Extrait du début : « Comme en Afrique, cette région a vu une première vague anarchiste se développer en premier lieu dans ses marges ; les anarchistes arméniens, par exemple, se retrouvèrent sous le contrôle de l’Empire ottoman dès la fin du XIXe siècle, à cause de leur activisme à large échelle. Parmi eux, Alexandre Atabékian conserva une aura internationale très grande, disposant de nombreux contacts avec le mouvement anarchiste international et comptant parmi ses amis Piotr Kropotkine, Elisée Reclus et Jean Grave quand il étudiait à Genève. Son amitié avec Kropotkine était si étroite en fait qu’il le retrouva à son lit de mort et contribua ensuite à organiser la célèbre procession de ses funérailles à travers les rues de Moscou. Atabékian traduisit plusieurs ouvrages anarchistes en arménien, il publia et diffusa un journal appelé La Communauté (Hamaïnk), qui était aussi traduit en persan. [...] Avant la création de l’Etat israélien, dans le premier quart du XXe siècle, un mouvement anarchiste était déjà apparu parmi des Palestiniens et des Juifs, qui s’opposèrent à la création d’un Etat juif et œuvrèrent au contraire pour une société pluraliste, sans Etat,
à la démocratie directe, rassemblant Juifs et Arabes. [...] »

anarchism nonwestern
Dans sa brochure Non-Western Anarchisms : Rethinking the Global Context (pdf téléchargeable en anglais),
Jason Adams précise son analyse (traduction un peu aléatoire et très imparfaite, désolé) :
« Au Moyen-Orient, l'anarchisme s'est développé plus particulièrement dans les pays où avaient émergé, au début du XXe siècle, de petits mouvements, en grande partie issus de la population immigrée. Depuis les communautés d'anarchistes italiens installées dans les cités portuaires turques et libanaises, ces idées se sont étendues, depuis les années 1980, aux populations locales, souvent par le biais de la culture punk. Par exemple, depuis le milieu des années 1990, un groupe libanais appelé Alternative Liberty (Al Badil al Thariri) a envoyé des délégués aux assemblées anarchistes internationales, ainsi que des rapports sur le mouvement local et s'est attaqué à la traduction d'ouvrages anarchistes en arabe.

A la même période, l'anarchisme est devenu une force politique reconnue en Turquie, autant par ses contingents présents aux Fêtes du 1er Mai que par sa participation aux réunions anarchistes internationales. Les immigrés italiens et grecs ont aidé à la diffusion de ces idées dans les régions méditerranéennes, dans les pays d'Afrique du Nord (Tunisie et Egypte), principalement dans les villes portuaires. Bien que leurs activités semblent avoir peu concerné les populations locales, il apparaît que, dans le milieu des années 1960, certains ressortissants tunisiens ont été sensibles aux théories libertaires. En 1966, un situationniste tunisien du nom de Mustapha Khayati a ainsi participé à l'écriture du texte fondamental sur La misère en milieu étudiant, pendant ses études à Paris. La section algérienne de l'Internationale situationniste a été représentée par Abdelhafid Khatib lors de sa conférence de 1958. [...]

Les ports nord-africains ont également joué un rôle majeur dans la diffusion des idées anarchistes. Le mouvement égyptien est un bon exemple de cette tendance, car, ici, l'anarchisme a presque entièrement été importé par les immigrés. Dès 1877, le mouvement anarchiste égyptien lançait le journal de langue italienne II Lavoratore, qui a bientôt été suivi par la Question sociale. Ses premiers lecteurs faisaient partie de la communauté d'immigrants italiens concentrée principalement à Alexandrie. Ce port jouera le rôle d'un réservoir non seulement pour l'activité anarchiste, mais aussi pour accueillir les exilés anarchistes dans la région alentour.

À la fin du XIXe siècle, Malatesta y a cherché refuge après la tentative d'assassinat contre le Roi Umberto, de même que Luigi Galleani en 1900. Bientôt, les idées anarchistes de la communauté italienne s'étendent aux travailleurs immigrés grecs, qui mettent en place, à Alexandrie, un syndicat d'orientation anarchiste pour les fabricants de chaussures. Cependant, il y a peu de preuves que la diffusion des idées libertaires se soit propagée significativement hors des communautés d'immigrants.

La Tunisie et l'Algérie ont été les deux autres pays où l'anarchisme a pris pied. Le port de Tunis a disposé d'un mouvement libertaire parmi les immigrants italiens et, comme en Egypte, ils se sont lancés dans la publication de plusieurs journaux, comme L'Operaio et Protesta La Umana. Ce dernier a été publié par Luigi Fabbri, pamphlétaire bien connu qui vivait à Tunis à l'époque. Le port d'Alger, quant à lui, était un carrefour majeur pour l'activité anarchiste et disposait de plusieurs journaux comme L'Action Révolutionnaire, Tocsin, Libertaire et la Marmite sociale. [...] »
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labellerebellekabylie
Le site de labellerebellekabylie nous conte, pour sa part,
l'histoire de l'anarchiste kabyle Saïl Mohamed (1894-1953).
Extraits : « Dès la reconstitution du mouvement libertaire, à la sortie de la première guerre mondiale, il adhère à l’Union anarchiste. Saïl est alors un militant de base. En 1923, avec son ami Sliman Kiouane - chansonnier de son état -, il fonde le Comité de défense des indigènes algériens. [...] Après avoir multiplié les activités, Saïl s’installe à Aulnay-sous-Bois comme mécanicien. Il y fonde un groupe et va devenir l’un de ses animateurs les plus efficaces. Il n’abandonne pas la lutte pour la reconnaissance du droit des Algériens à vivre libres. En 1929, il est le secrétaire d’un nouveau comité : le Comité de défense des Algériens contre les provocations du centenaire. [...] Après le soulèvement fasciste en et le début de la Révolution espagnole, Saïl, alors âgé de 42 ans, comme nombre de militants anarchistes de toutes tendances rejoint le Groupe international de la colonne Durruti. [...]
Au début de la Seconde Guerre mondiale , il est encore arrêté après une perquisition, qui entraîne la dispersion de sa bibliothèque. Il est conduit au camp de Riom d’où il semble qu’il se soit échappé. Il fabrique des faux papiers pendant l’Occupation. [...] »

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Troisième référence à l'anarchisme sur le Net : la guerre d'Algérie.
Un article paru sur le site de la CNT-AIT qui survole l'histoire du mouvement anarchiste
en Algérie, un autre, beaucoup plus critique, sur la prudence à s'engager d'une partie des organisations libertaires dans la guerre d'Algérie (pdf ICI).
Et, enfin, un livre, disponible également chez Alternative libertaire, sur L'insurrection algérienne et les communistes libertaires, 1954-1962 (éd. AL).

Présentation : « On oublie trop souvent que les réseaux de “porteurs de valises” qui ont soutenu les indépendantistes algériens pendant la guerre n’ont pas débuté leur existence en 1957 avec l’action de Francis Jeanson puis d’Henri Curiel. En Algérie même, le Mouvement libertaire nord-africain (MLNA), lié à la FCL (Fédération communiste libertaire), entre en lutte contre l’État français, pour l’indépendance du pays, dès la Toussaint 1954. Ce livre apporte les témoignages de plusieurs actrices et acteurs de cette période sombre, militants de la FCL, du MLNA,
des GAAR ou de la Voie communiste. »
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anarchieQuoi d'autre ?

Ainfos a publié, début février, sur son site la traduction en français d'un "dialogue avec un anarchiste syrien", Mazen Kamalmaz, rédacteur d'un blog anarchiste arabe, paru sur Anarkismo.

Il y parle « des grandes révoltes qui secouent le monde arabe » en ce moment, des islamistes, des partis staliniens, des syndicats, et de l'anarchisme : « Il y a un courant communiste de conseils grandissant à côté de notre propre courant anarchiste - à cause d'un manque de communication avec nos camarades, mais
je dois souligner que ces révolutions ont été faites principalement par les masses elles-mêmes. En Tunisie, les syndicats locaux forts ont joué un grand rôle dans les derniers stades de la révolte. Je veux parler plus en détail des comités locaux formés par les masses, qui sont une des manifestations les plus intéressantes de son action révolutionnaire. Face à des pillages, commencés pour la plupart par l'ex-police secrète, les gens ont formé ces comités comme institutions réellement démocratiques, une véritable concurrence à la puissance de l'élite dirigeante et de ses institutions autoritaires... En Égypte, il y a maintenant deux gouvernements, les comités locaux et le gouvernement de Moubarak qui est caché derrière les chars et les fusils de ses soldats. Ça se produit dans une région qui est habituée aux dictatures et à l'autoritarisme... C'est ce qui est bien avec les révolutions, elles transforment très rapidement le monde. Cela ne signifie pas que la lutte a été gagnée, au contraire, cela signifie que le vrai combat vient de commencer. »

> Vous trouverez également sur le site Anarkismo
un panorama sur l'anarchisme en Jordanie.

> Anarkismo a publié également le 4 février « Interview avec un activiste anarcho-communiste sur la Place de la Liberté au Caire ». Il s'agit de Nidal, de Black Flag, un petit groupe d'anarcho-communistes en Égypte. Il nous parle des dernières manifestations anti-Mubarak, des affrontements, des craintes de la classe moyenne, mais évoque aussi brièvement l'anarchisme en Egypte : « L'anarchisme n'est pas une tendance lourde en Egypte. On peut trouver quelques anarchistes mais pas encore de grande tendance. Les anarchistes en Egypte ont rejoint les contestataires et les comités populaires formés pour défendre les rues des tueurs. Les anarchistes égyptiens ont un certain espoir dans ces conseils. Les alliés des anarchistes en Egypte sont les marxistes, évidemment. Nous avons actuellement un débat idéologique - toute la gauche appelle à l'unité et à soutenir toutes les choses possibles. Les anarchistes sont une part de la gauche égyptienne. [...] Les révolutionnaires anti-capitalistes ne sont pas très nombreux au Caire - les communistes, la gauche démocratique et les trotskystes ont les mêmes revendications concernant une nouvelle constitution et de nouvelles élections, mais, pour nous, en tant qu'anarchistes - anti-capitalistes et anti-étatiques -, nous allons essayer de faire en sorte que les comités qui ont été formés pour protéger et sécuriser les rues, deviennent plus forts afin de les transformer en véritables conseils populaires. [...] »


>LUNDI 28 FEVRIER, 16h : dans l'émission "Trous noirs" de Radio Libertaire, Mohamed, anarchiste d'origine tunisienne, évoquera l'irruption du peuple tunisien sur la scène sociale et les luttes qui ont précédé cette explosion. Vous pourrez l'écouter en direct sur le web ou en différé pendant une semaine (en allant sur la grille de RL puis en cliquant sur l'un des pictos de la case horaire correspondante).

6 commentaires:

kuriakin a dit…

Voir aussi :
GORMAN, Anthony. "Socialisme en Égypte avant la Première Guerre mondiale : la contribution des anarchistes"

Traduction de Didier Monciaud. Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, pp. 105-106 (2008).

Unknown a dit…

A voir aussi :
Emergence d'un mouvement anarchiste Tunisien :
http://www.i-f-a.org/index.php/2012-11-27-16-29-10/189-emergence-d-un-mouvement-anarchiste-tunisien

Déclaration de principes du mouvement Désobéissance (Tunisie) :
http://i-f-a.org/index.php/fr/actualites/166-mouvement-desobeissance-declaration-de-principes

Et enfin, l'appel à la désobéissance :
http://i-f-a.org/index.php/fr/actualites/169-instance-d-action-revolutionnaire-mouvement-desobeissance

Il n'y a malheureusement pas encore de traduction fr de textes de nos camarades egyptiens du mouvement socialiste libertaire et qui sont ici :http://www.anarkismo.net/article/19687

Merci pour les références, c'est très important pour nous !

kuriakin a dit…

Merci à toi !
Bon courage !

kuriakin a dit…

A l'occasion de l'appel à boycotter le Forum social mondial, qui doit se tenir à Tunis en mars 2013, découverte d'un nouveau mouvement libertaire dans cette région : A’ssyan Movement

Pour en savoir plus :
https://appelsm.wordpress.com/about/

kuriakin a dit…

voir aussi l'article du 20/12/13 sur le site de lenumerozero :
http://lenumerozero.lautre.net/article2665.html

kuriakin a dit…

LIRE AUSSI : http://www.revue-ballast.fr/mohamed-sail-maitre-valet