24/04/2014

La renaissance des communs

Lu sur BastaMag (extraits) :

« Les biens communs nous offrent davantage de liberté 
et de pouvoir que ne le font l’État et le marché »


Qu’y a-t-il de commun entre une coopérative, un potager partagé, un collectif de hackers ou une communauté autochtone gérant une forêt ? Tous « agissent et coopèrent avec leurs pairs, de manière auto-organisée, pour satisfaire leurs besoins essentiels», explique David Bollier. Ce chercheur états-unien et militant infatigable des biens communs nous invite à ne plus être des «créatures du marché», des consommateurs isolés sans autre pouvoir que de voter occasionnellement, mais à devenir plutôt des «commoneurs»: des acteurs d’un système de production, de relations sociales et de gouvernance alternatif au néolibéralisme.

(...) Dans un livre qui vient de paraître en France [La renaissance des communs. Pour une société de coopération et de partage, éd. Charles Léopold Mayer], il [David Bollier] propose une « brève introduction » aux communs. (...)

Basta ! : On parle de plus en plus des « biens communs », ou plus simplement de «communs», dans des sphères très diverses : militants écologistes et défenseurs des droits des communautés locales, hackers et activistes du numérique, chercheurs et artistes, défenseurs des services publics ou promoteurs de l’économie sociale et solidaire. De quoi s’agit-il, et pourquoi cet intérêt grandissant ?
David Bollier : Je pense que de plus en plus de gens se rendent compte que les gouvernements et les marchés ne peuvent pas, et ne veulent pas, résoudre leurs problèmes. Tous deux sont structurellement limités dans leurs capacités. Les gouvernements sont souvent bureaucratiques et corruptibles, tandis que les marchés ont une optique prédatrice et impersonnelle. Les communs séduisent de nombreuses personnes parce qu’ils leur fournissent les moyens de définir collectivement leurs propres règles et de concevoir leurs propres solutions pratiques. Le sens fondamental des communs est précisément celui-là : agir et coopérer avec ses pairs, de manière auto-organisée, pour satisfaire ses besoins essentiels.

Jusqu’il y a dix ou quinze ans, les communs étaient considérés soit comme un système de gestion inefficace (la « tragédie des communs », le risque de surexploitation d’une ressource en accès libre, ndlr), soit comme une relique archaïque de l’époque médiévale, soit comme une curiosité anthropologique mise en œuvre dans certains pays retardés du Sud pour gérer des forêts ou des terres agricoles. La culture de l’internet est venue changer radicalement les perspectives sur les communs. Nous pouvons tous constater comment les communs numériques nous permettent de gérer collectivement toutes sortes de ressources créatives ou informationnelles.

La « production par les pairs basée sur les communs », comme on l’appelle parfois, peut faire mieux que le marché en recherchant la « coopérativité» plutôt que la compétitivité. L’essor du système d’exploitation Linux et de Wikipédia en sont les exemples les plus célèbres. Pour construire ces systèmes, il n’y a eu besoin ni de marchés, ni d’agences gouvernementales, ni de contrats juridiques, ni même d’employés. Ils ont été construits par des « commoneurs » – des gens qui trouvaient une satisfaction et des avantages personnels à y participer. Les commoneurs de l’internet ont prouvé que les droits de propriété privée et les marchés n’étaient pas le seul moyen d’avancer et d’innover.

Entre le mode de vie d’un peuple indigène, la gestion collective d’une forêt ou d’une ressource en eau, un jardin partagé, un parc public, une coopérative, le logiciel libre Linux ou l’encyclopédie Wikipédia, quel est le point commun ?
D. B. : Tous – à l’exception peut-être du parc public – reposent sur une coopération auto-organisée, en vue de concevoir collectivement les règles et la gouvernance requises pour la gestion de ressources partagées. Dans chaque cas, il s’agit de se faire les garants de ressources collectives. Le type de ressource peut être très différent, et nécessiter en conséquence un mode de gestion lui aussi différent. Par exemple, les forêts et l’eau sont finies, et peuvent se trouver surexploitées, tandis que les ressources numériques peuvent être copiées et partagées pour un coût virtuellement nul.

Cependant les communs ne se définissent pas par le type de ressource qu’il s’agit de gérer, mais par les pratiques sociales, les valeurs, l’éthique et la culture mises en œuvre à travers cette gestion. Même les communs numériques reposent sur des ressources matérielles, physiques (les ordinateurs, l’électricité, les infrastructures de télécommunication), et même la gestion des communs « naturels » repose sur des savoirs et des pratiques sociales. (...)

Pourquoi est-il utile de réfléchir à ce qu’il y a de commun entre les communs ?
D. B. : Il vaut la peine de souligner que le « marché » lui aussi est une abstraction, utilisée pour qualifier des phénomènes absurdement divers : de l’échange de titres financiers aux magasins de quincaillerie, en passant par les restaurants et les stands de vente de limonade. C’est une convention culturelle et un récit partagé que nous utilisons pour parler d’activités sociales présentant certains traits similaires (vendeurs et acheteurs, échange d’argent, etc.).

Lorsqu’on parle des « communs », c’est exactement la même chose. Cela revient à noter qu’il y a des similarités générales entre la gestion collective de l’eau par les peuples indigènes, les logiciels open source, les fêtes de quartier ou encore les trusts fonciers. Les communs constituent un récit partagé qui permet aux gens de reconnaître les affinités entre leurs diverses formes de « faire commun ». Celles-ci sont également liées entre elles par le fait qu’elles proposent un système de production, de relations sociales et de gouvernance alternatif à la fois à l’État et au marché.

Les communs offrent aux commoneurs davantage de liberté, de pouvoir et de responsabilité que ne le font l’État et le marché – qui, au fond, nous invitent seulement à consommer, à voter occasionnellement et, parfois, à jouer les faire-valoir dans les processus décisionnels, qui souvent ont été largement accaparés par de grandes institutions éloignées des citoyens. (...)

Fondamentalement, le paradigme des communs affirme que nous sommes capables et que nous devrions pouvoir déterminer nos propres conditions de vie. Nous devrions avoir l’autorité d’identifier et de résoudre les problèmes, de négocier avec les autres, d’inventer nos propres solutions, et pouvoir compter sur une gouvernance légitime et réactive. Ces principes sont au cœur même des communs – et pourtant ils ne peuvent exister que dans des espaces sociaux et politiques que ni l’État ni le marché ne veulent reconnaître. De sorte que les commoneurs doivent lutter pour obtenir reconnaissance et protection de leurs communs.
Propos recueillis par Olivier Petitjean

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> La fiche du livre (192 p.,  19 €) chez son éditeur.

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